{ everything begins }
« Dis, comment tu l’as su, que t’aimais les filles ?  » Sa petite sœur. Un an sa cadette. Petite brunette aux yeux noisette. Une ressemblance frappante, aussi bien physiquement que mentalement. Elle l’aimait énormément, sa petite sœur. Toutes deux, elles se sentaient inséparables, aussi liées et connectées que des jumelles le seraient. Avec seulement un an de différence, elles avaient pu tout partager ensemble. Elles s’étaient entraidées, aidées, s’étaient tout dit, raconté, même leurs plus profonds secrets. « Tu vois, je l’ai su justement en ne me posant jamais cette question. » Cora sourit, s’allonge sur le lit à côté de sa petite sœur, lui caresse gentiment  le creux de sa main. . « Je sais pas Lou,  je l’ai toujours su. Comme une évidence. J’me suis jamais imaginée avec un homme, c’était toujours le corps des filles qui me revenaient en tête. Et j’ai jamais essayé d’aller contre ça tu sais parce que je crois que ça changera rien, je suis comme ça. » Lesbienne. Elle en avait reçu plein, des moqueries. Mais elle s’en foutait pas mal. Elle avait toujours assumé aimer les filles. Elle se souvient du regard de sa mère, quand elles en parlèrent pour la première fois. A la fois la fierté de voir sa fille s’épanouir, s’assumer, mais aussi la tristesse de ne pas la voir fonder une famille. « Et moi je t’aime comme ça. Alors j’espère que tu m’aimeras toujours si je te dis qu’on est pas du même bord ..  » Elles rient. Ensemble, à l’unisson.  « Bien sûr que je t’aime. Pis au moins tu ne me piqueras pas mes copines, et j’te piquerai pas tes copains. Addition parfaite non ?   » Elles rient de plus belle, heureuses d’être ici, heureuses d’être ensemble.

« Je suis désolée Cora, nous deux c’était juste .. .juste comme ça. » Juste comme ça. Cora avale sa salive. Avale ses larmes, essaye au moins de les retenir. Dix-huit ans, première histoire d’amour. Première fois que son cœur bat pour quelqu’un. Des flirts, elle en avait déjà eu. Mais s’attachée vraiment à quelqu’un, jamais. Elle était belle. Presque trop belle pour elle d’ailleurs. Au lycée, elle avait tout le monde à ses pieds, elle avait déjà eu pas mal d’aventures et puis … Elle s’était arrêtée sur Cora mais finalement, ça n’avait duré que quelques mois. Un jeu pour elle, une douleur pour Cora. « Comme ça ? Six mois comme ça ?  » Elle lève les yeux au ciel, soupir. Elle ne savait pas quoi dire, pas comment réagir. Tout se passait bien, elles ne comprenaient pas. « J’aime les mecs Cora. Avec toi, c’était juste pour essayer un truc différent. Mais c’était pas si top que ça. » Coup de poignard. Les larmes qui jaillissent. Six mois comme ça. Qui ne veulent rien dire. Six mois qu’elle oubliera finalement parce que ce n’était pas si important, six mois dans une vie. Mais elle gardera cette blessure béante, cette peur constante qu’il lui arrive une nouvelle fois la même chose, peur d’être abandonnée, de ne plus être aimée, d’être rejetée. Le truc basic, finalement.  Qui n’avait pas peur de finir sa vie seul ? Qui était assez sûr de lui pour se foutre de l’avenir, pour être certain que tout irait bien ? Ce qui ne tue pas rend plus fort, elle finira par l’apprendre.

« J’suis nulle Cora, nulle, nulle, nulle » Nulle. Les mots qui résonnent. Sa meilleure amie. Sa blondinette chérie. Elle aussi, elle avait toujours été là. Si elle avait plusieurs femmes dans sa vie elle pourrait citer sa sœur, et puis elle. Elles s’étaient rencontrées à la fac, la première année et depuis, elles ne s’étaient jamais lâchées. Elles étaient pareilles. Identiques. Elles se comprenaient mieux que quiconque, en un regard, une phrase, un geste.  Sa meilleure amie, c’est ce qu’elle était. « Je t’interdis de dire ça. C’est lui qui est nul, il est même pas capable de se rendre compte à quel point il a de la chance qu’il a de t’avoir, et a quel point t’es formidable. » Elle lui sourit. Elles se sourient. Elle la prend dans ses bras, essaye de lui sécher ses larmes. Puis elle ressent ce frisson. Ce même frisson qui revient à chaque fois. A chaque fois qu’elles se rapprochent, à chaque fois que sa peau effleure la sienne, à chaque fois qu’elle sent son souffle contre son cou, son corps contre le sien. Et elle a honte Cora, honte d’être attirée comme ça, depuis des mois, voire des années. Peut-être depuis qu’elle la connait en fait, y’a toujours eu ce truc qui la poussait vers elle mais qu’elle essayait d’oublier parce que sa meilleure amie, elle aime les garçons, pas les filles. Et puis Cora, elle sait bien que ça ne se contrôle pas ces histoires-là, elle sait bien que c’est comme ça, que ça changera pas. Alors elle se recule, elle s’écarte gentiment, mine de rien, comme pour essayer de calmer ce désir qui la consume, qui l’habite de plus en plus. Elle est sa meilleure amie, elle ne sera jamais rien de plus. « Si j’étais si formidable que ça Cora, tu m’aurais déjà embrassé. T’aimes les filles, je suis une fille, on dort ensemble toutes les semaines et ... Laisse tomber, c’est idiot. Je veux simplement dire que ça sera toujours la même chose, je plairais jamais assez à quelqu’un pour qu’il m’aime pour toujours. »  Des frissons partout dans le corps, le cœur qui bat la chamade, Cora qui ne sait plus quoi faire. Laisse tomber, elle lui avait dit. Mais elle avait pas laissé tomber, parce qu’elle avait reçu comme une recharge électrique dans tout le corps. « Tu m’aurais déjà embrassé » : c’est ce qu’elle fit. Elle posa sa bouche sur la sienne, doucement. Elle avait peur qu’elle la rejette, elle n’en fit rien. Et pendant de longues minutes, elles s’embrassèrent, incapable de se détacher, incapable de réaliser ce qu’elles étaient en train de faire. . « Je ..  » Je suis désolée, c’est ce qu’elle allait dire, Cora. Au cas où ça lui avait déplu, au cas où elle n’en avait pas vraiment envie – quoi qu’elle s’était laissée faire mais, peut-être pour ne pas la froisser ?- Sa blonde pose un doigt sur sa bouche pour la faire taire, un sourire sur les lèvres, les yeux qui pétillent. « Ca fait un moment que j’avais envie de ça, Cora. J’osais juste pas sauter le pas. »  Et elles s’embrassèrent de plus belle.

Cosmopolitan. Magazine féminin par excellence. Magasine qui avait accompagné l’adolescence de Cora, et qu’elle lisait finalement toujours aujourd’hui. Jamais elle n’aurait cru, après ses études et quelques potes dans tes petits magasines, être recrutée pour entrer dans ce géant. Au début, le stress montait à chaque fois qu’elle entrait dans son bureau, à chaque fois qu’elle voyait la directrice passer. Cora pensait qu’elle allait rapidement être renvoyé d’où elle venait, qu’elle ne tiendrait pas un mois là-bas, qu’elle n’avait pas assez d’expérience. Voilà un peu plus d’un an qu’elle y était maintenant. Elle se sentait à sa place, elle était gentille avec tout le monde et, de ce fait, la plupart était gentil en retour avec elle. Attachante, même au boulot, même dans un monde où elle aurait dû se faire écraser. Mais finalement, elle essaye de tout prendre avec le sourire, de positiver : elle aime ce qu’elle fait, être l’une des rédactrices de la section mode. Peut-être qu’un jour, elle en deviendra la rédactrice en chef mais pour le moment, elle n’y pense pas trop, elle sait qu’elle n’a pas le caractère, qu’elle est bien incapable de donner des ordres, de diriger. « Désolé. Je vais vous aider. » Un cri. Une pile de documents par terre. Une première rencontre électrique, une première rencontre qu’elle aurait parfois préféré ne jamais faire. Maxime Chevalier. Il semblait que la simple prononciation de son nom la faisait frissonner. Photographe, il avait travaillé avec elle sur l’un de ses projets de mode, sur une nouvelle marque peu connue et, puisque leur travail avait été d’une très bonne qualité, la rédactrice en chef avait décidé de les faire travailler ensemble le plus souvent possible. Si Cora avait tout de suite remarqué qu’elle plaisait à Maxime, cela la faisait plutôt rire, au début. Elle lui présenta sa petite amie quand il voulut l’inviter au restaurant, elle lui rappelle qu’elle aime les femmes à chacune de ses tentatives, espérant qu’il se lasse, qu’il l’oublie, qu’il passe à autre chose. Ou espérait-elle plutôt qu’il continue ? Depuis quelques mois, il y avait ce truc entre eux, ce truc inexplicable, que Cora essayait tant bien que mal de cacher. Les papillons au creux du ventre quand il l’effleure, les joues qui rougissent quand il la complimente ou qu’elle le surprend à la regarder, la voix qui commence à trembler quand elle répond qu’elle n’est pas intéressée, le rire qui sonne faux quand elle se moque de lui. Et cette boule au ventre, cette boule au ventre quand elle entend qu’il s’intéresse à d’autres filles, cette envie, subitement, d’être la seule entre ses bras. Envie qu’elle n’avait jamais connu, qu’elle se devait de refouler. Trois ans qu’elle était avec sa copine, copine qu’elle aimait de tout son cœur. Tout se passait tellement bien entre elle que ça en était étonnant : aucun mot n’allait jamais plus haut que l’autre, elles se comprenaient, se souriaient, s’aimaient. Alors Maxime, elle essayait de l’éviter. Et il semblait que plus elle l’évitait, plus il revenait vers elle. Elle se sentait faible, fragile à sa présence, prête à faire n’importe quoi, et elle détestait ça. Cora, elle avait su résister à tous les hommes qui s’étaient présentés à elle jusque maintenant, jusque Maxime. Alors le soir, elle se blottissait contre sa copine, essayant vainement de taire l’envie qu’elle avait de le revoir le lendemain et essayant de se souvenir qu’elle aimait les femmes, juste les femmes, toujours les femmes.